Introduction [1]:
Dans le dictionnaire Larousse, le narcissisme est défini
- comme « l’admiration de soi-même »
- comme terme psychanalytique renvoyant à « l’amour que porte un sujet à lui-même » ;
Du mythe grec de Narcisse (dont je raconte la légende ci-après), Freud a tiré le nom de narcissisme, résumé par l’amour de soi. Tout enfant passe par une étape narcissique où se structurent sa personnalité et sa sexualité. Normalement, cet amour se porte ensuite sur un objet extérieur.
En psychanalyse, le narcissisme constitue donc une dimension importante et normale du développement de la personne. Traverser adéquatement les étapes de la constitution du narcissisme permet à l’individu d’acquérir estime de soi, autonomie, assurance, capacité d’entreprendre et possibilité d’investir en confiance de nouveaux objets.
Légende de Narcisse[2] :
L’histoire la plus détaillée de Narcisse est rapportée dans le Livre III des Métamorphoses d’Ovide.Dans la mythologie grecque[4], Narcisse est un chasseur, fils du dieu fleuve Céphise et de la nymphe Liriope. D’une grande beauté, il était l’objet de l’ardente passion de très nombreux jeunes gens et nymphes mais il restait insensible à leur amour. Même le chagrin de la charmante nymphe Echo ne réussit à l’émouvoir. Elle était la favorite d’Artémis, la déesse des bois et des créatures sauvages.
Cependant, Echo déplût à Héra, la femme de Zeus ; celle-ci la condamna à ne plus se servir de sa langue que pour répéter ce qui lui était dit. : « Tu auras toujours le dernier mot, mais jamais plus, tu ne parleras la première ».
Le châtiment était rendu encore plus cruel par l’amour que Echo portait à Narcisse ; Elle le suivait partout mais ne pouvait lui parler et lui dire son amour. Un jour, elle se crut sur le point de réussir mais il la repoussa brutalement. Se laissant dépérir, elle continua à errer dans les vallons.
Artémis, furieuse, décida de mener Narcisse au bord d’une claire fontaine. Dès qu’il y aperçut sa propre image, il s’en éprit sur le champ. Devant cette passion désespérée, il préféra se suicider.
Une autre version de la légende dit que Narcisse aimait tant se contempler sur le reflet de l’eau, qu’un jour, en voulant embrasser sa propre image, il se noya.
Des fleurs blanches seraient apparues à l’endroit de sa disparition, les Narcisses.
Quelques définitions préalables :
Pour bien comprendre ce qu’est le narcissisme, il m’a paru intéressant de reprendre brièvement quelques définitions de base.
La libido : pour S. Freud, la libido est l’ « énergie motrice des instincts de vie. »[5]
Le sujet a en lui une certaine quantité d’énergie nommée la libido. Cette énergie est soit investie dans un objet extérieur soit investie dans le moi d’où la libido d’objet et la libido du Moi. FREUD établit une balance entre la libido du Moi et la libido d’objet “plus l’une absorbe, plus l’autre s’appauvrit”.
Les pulsions sexuelles :Les pulsions sexuelles (génitales et prégénitales) sont régies par le principe de plaisir qui recherche une décharge immédiate qui annule la tension ; la pulsion sexuelle vise la reproduction.
Les pulsions du Moi : les pulsions du Moi ou pulsions d’autoconservation sont, elles, soumises au principe de réalité. Cette dernière tend à ajourner la satisfaction au nom du « principe de constance ». La pulsion d’autoconservation vise la survie.
Le principe de réalité : Dans la psychanalyse freudienne, le principe de réalité désigne la capacité d’ajourner la satisfaction pulsionnelle.
Respecter le principe de réalité consiste à prendre en compte les exigences du monde réel, et les conséquences de ses actes. Le principe de réalité désigne avant tout la possibilité de s’extraire de l’hallucination, du rêve, dans lesquels triomphe le principe de plaisir et d’admettre l’existence d’une réalité, insatisfaisante.
L’auto-érotisme : dans l’auto-érotisme en tant que jouissance d’une partie du corps, l’ensemble du corps n’existe pas; celui-ci est morcelé en zones pulsionnelles partielles. Il y a satisfaction immédiate des pulsions sexuelles.
Le Narcissisme primaire et secondaire :
« Le narcissisme est l’amour porté à l’image de soi grâce à l’intériorisation d’un ensemble de représentations. »[6]
La première fois que Freud en parle, c’est à propos du président Schreber[7] où Freud pose le narcissisme comme un stade normal de l’évolution de la libido.
L’analyse du président Schreber (souffrant de démence paranoïde) porte sur le choix d’objet homosexuel de celui-ci. Selon Freud, l’homosexuel fait en sorte que son objet sexuel soit le plus semblable à lui-même et ce serait pour cela qu’il choisirait un individu de même sexe.
Le narcissisme, selon Freud, constitue un stade développement de la libido, intermédiaire entre l’auto-érotisme et le choix d’objet.
Le Narcissisme primaire :
Le narcissisme primaire désigne :
« un état précoce de l’organisation des pulsions de l’enfant qui investit la totalité de sa libido, de son énergie sur lui-même. L’enfant se prend lui-même comme objet d’amour. »[8]
Selon Guelfi J.D., le narcissisme primaire est un « stade précoce du développement au cours duquel toute la libido est investie sur le sujet».[9]
En termes psychanalytiques, le narcissisme primaire correspond à un stade normal de l’évolution de la libido qui passe de l’auto-érotisme à l’amour objectal.
1/ Une première étape du narcissisme primaire serait quand il n’y a pas de distinction entre le Soi et le Non-Soi, le dedans et le dehors.
L’enfant se suffit à lui-même et se croit tout puissant. Les prototypes de ces états seraient la vie intra-utérine et le sommeil. Ce stade précoce serait caractérisé par une absence totale de relation à l’entourage.
Petit à petit apparaitrait une première ébauche du Moi et son investissement par la libido ; là, il s’agit d’un premier mode auto-érotique de satisfaction de la libido où les objets investis par les pulsions sont les parties du corps elles-mêmes.
Le corps propre, entier (début de la conscience du Moi), se constitue comme objet unique.
Dans la première topique, Freud différencie l’auto-érotisme du narcissisme primaire.
Dans le cadre de l’élaboration de la seconde topique, Freud efface cette distinction ; la satisfaction de la libido se porte sur le corps propre du sujet sans différenciation, le Moi ne se développant que très progressivement.
Deux conceptions fondamentales du narcissisme s’opposent parmi les psychanalystes, suivant que l’objet est perçu ou non dès la naissance.
Pour les Freudiens, le psychisme ne se forme qu’assez tardivement : le Moi n’est à l’origine pas différencié de l’objet, il s’agit d’un état naturel dont l’individu se dégage progressivement au cours de son développement infantile. C’est la position de Freud ainsi que d’Anna Freud, de Mahler entre autres. Pour eux, à partir du moment où l’enfant se mettrait à percevoir la différence moi-objet, il sortirait par étapes successives d’un état de narcissisme primaire.
Par contre, pour Mélanie Klein et les analystes qui la suivent,[10], l’activité psychique du bébé existe déjà dès la naissance ; le Moi et l’objet sont perçus dès la naissance, et la base de narcissisme primaire n’existerait pas. Le bébé a besoin d’un objet pour projeter mais en même temps, il y a confusion d’identité entre lui et l’objet. Il ne parvient pas à appréhender la totalité ou la globalité de l’objet dès la naissance et l’appréhende sous forme d’objets partiels (haut, bas, devant, derrière, bon sein, mauvais sein,… ) . Grâce à une série d’autres mécanismes de défense et de construction du Moi (introjection, identification introjective, projection, idéalisation primitive, …) le bébé unifie les parties de son Moi et celui de l’Autre, l’Objet.
2/ Une deuxième étape du narcissisme primaire est décrite par Jacques Lacan
Il s’agit du « stade du miroir » : c’est un concept psychanalytique qui désigne l’étape du développement du petit enfant pendant laquelle il commence à ressentir une forme d’identité.
Henri Wallon, créateur de ce terme, a été le premier psychologue à relever l’importance du miroir dans la construction psychologique de l’enfant, qu’il développa dans son livre Les origines du caractère chez l’enfant. Pour lui, l’enfant se sert de l’image extériorisée du miroir, afin d’unifier son corps. Ce processus se déroule lors du stade émotionnel de Wallon (6 à 12 mois). Durant sa croissance, le petit enfant passe par trois étapes lorsqu’il se regarde dans une glace : d’abord, il pense que la personne qu’il voit dans le miroir est une personne réelle, différente de lui. Plus tard, il comprend que le reflet n’est pas une personne mais seulement un reflet. Toutefois, il ne comprend toujours pas qu’il s’agit de lui-même. Enfin, ce processus aboutit lorsqu’il sait que ce qu’il voit dans le miroir correspond à sa propre image.
Pour Lacan, ce stade est le formateur de la fonction sujet, le « je », de l’enfant âgé de 6 à 18 mois.
À un stade où l’enfant a déjà fait, sur le mode angoissant, l’expérience de l’absence de sa mère, le stade du miroir manifesterait la prise de conscience rassurante de l’unité corporelle et, selon Lacan, la jubilation de l’enfant au plaisir qu’il a de contempler l’image de son unité, à un moment où il ne maîtrise pas encore physiologiquement cette unité. Ce vécu du morcellement corporel, et le décalage que provoque cette image spéculaire entière, permettent l’identification de l’enfant à sa propre image.
Pourquoi cette étape est-elle si importante pour le petit ? Parce qu’en lui permettant d’acquérir un sentiment d’identité, le stade du miroir lui donne accès à trois grands registres du psychisme : le réel, l’imaginaire et le symbolique.
D’après Aldo Naouri, pédiatre et psychanalyste, le stade du miroir s’intègre dans le concept plus global “d’angoisse du 8ème mois”. Il permet à l’enfant d’accéder à son identité et par voie de conséquence à la notion de l’autre. L’enfant comprend qu’il ne fait pas partie de sa mère, qu’il a son propre corps et qu’il est autonome. Ce constat lui fait peur et il va donc refuser toute séparation avec elle – on parle d’ailleurs d’angoisse de séparation. Pour le pédiatre, ce stade fait partie du développement psychique de tout enfant, quelle que soit sa culture. Il n’est pas conditionné par la présence physique des miroirs qui sont d’ailleurs absents dans certains pays traditionnels.
Le Narcissisme secondaire :
Freud nomme “narcissisme secondaire” cet amour de soi qui succède à la découverte de la réalité extérieure. Le Moi s’enrichit des relations de l’enfant avec l’extérieur. L’identification projective et introjective interviennent et la libido se répartit entre le Moi et les objets extérieurs ».
Le narcissisme secondaire apparaît donc quand l’énergie de la libido a commencé à se répartir entre le Moi et les objets extérieurs .Par suite de frustrations ou de difficultés, la libido se détache des objets et il y a un retour sur soi de l’amour porté aux objets.
« Puisque je ne peux pas posséder, je vais être comme…. »
Par assimilation aux qualités partielles de l’Autre, le Moi de l’enfant s’enrichit par ses relations.
Laplanche J. et Pontalis J.B.[11] expliquent que le narcissisme secondaire est l’étape où l’enfant intériorise les relations, et surtout celle qu’il a avec sa mère ; quand ça se passe bien, l’enfant va introjeté l’amour de sa mère (qui lui dit qu’il est beau, qu’il est un garçon ou une fille,.. ,etc) ; une fois séparé d’elle, sorti de la symbiose, conscient de son altérité, il s’aimera tel que sa mère l’a aimé.
La gestalt thérapie parle ici des premières introjections parentales.
Le narcissisme secondaire se construit aussi grâce à la formation de l’Idéal du Moi auquel l’enfant va se mesurer et tenter de se conformer.
L’idéal du Moi : est formé par l’identification à des idéaux parentaux et culturels projetés à l’extérieur ; « je veux être comme » ; le sujet intègre des valeurs qu’il juge intéressantes et qu’il va s’efforcer de suivre et de pratiquer.
Le Moi idéal : est un idéal de toute puissance narcissique, forgé sur le modèle narcissique infantile. Le sujet se perçoit comme idéalisé « je me vois être un héros, celui que j’aimerais être… » ; Dans le Moi idéal, le sujet est prisonnier de l’image qu’il s’est faite ou qu’il a reçue de son environnement et à laquelle il doit, coute que coute adhérer et réaliser, sous peine d’être dévalorisé par l’Autre ou par lui-même. Il est prisonnier de ce Moi idéal.
L’Amour primaire de Balint[12] :
Plutôt que de parler de Narcissisme, M. Balint va parler d’amour primaire ; dans ce type de relation, tout être recherche fondamentalement que tous ses besoins soient satisfaits ; quand le bébé se rend compte que les autres et le monde extérieur ne sont pas qu’à son service, il réagit de deux manières différentes :
- Soit il devient « ocnophile » : il adopte une attitude dépendante, recherchant constamment ce « paradis perdu »
- Soit il devient « philobathe » : il recherche une autonomie absolue, refusant toute forme de dépendance et même d’engagement.
Enjeux thérapeutiques du narcissisme :
Il existe une différence importante entre narcissisme normal et pathologique ; il y a des personnes qui ont une structure de personnalité narcissique et d’autres qui ont une fixation ou une régression à certains moments à un narcissisme infantile normal ; on parlera alors de « failles narcissiques ».
Freud parle
- de narcissisme sain lorsqu’il y a un équilibre entre l’investissement de la libido envers soi-même et l’investissement de la libido envers l’Autre.
- de narcissisme pathologique quand, soit la libido est surinvestie vers des objets extérieurs (ex : burn-out, dépression, dépendance affective,…), soit que la libido est surinvestie sur le Moi (délire de grandeur, Moi idéal survalorisé, …).
Les fragilités narcissiques se retrouvent
- Dans les structures psychotiques avec une indifférenciation relative du Moi
- Dans les Etat Limites, malgré une différenciation Soi/Non-Soi satisfaisante.
La libido de la personne est retirée des Autres et réinvestie massivement dans le Moi ; il y a désintérêt pour le monde extérieur et délire de grandeur. Ceci se fait partiellement dans les Etats Limites, plus complètement dans les personnalités narcissiques et de façon perverse dans les perversions narcissiques.
BIBLIOGRAPHIE :
[1] Delbrouck M. « Psychopathologie, Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute », éditions De Boeck, Belgique, 2007.
[4] Hamilton E. « La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes », Col. Marabout, éd. Hamilton, 1997.