« Tout ce que tu peux faire ou rêver de faire,
tu peux l’entreprendre. L’audace renferme en soi
génie, pouvoir et magie. Débute maintenant. »
La téléconsultation est une consultation médicale ou paramédicale qui s’effectue à distance. Toutes les technologies de communication peuvent lui servir de support.
Elle facilite l’accès aux soins dans les situations où il n’est pas possible au malade ou au thérapeute de se déplacer. C’est une autre manière de soigner, d’écouter, d’accompagner, mais elle est soumise aux mêmes exigences de qualité et de sécurité que lors d’une consultation traditionnelle.
Que se passe-t-il du côté du thérapeute ?
La téléconsultation lui permet de ne pas abandonner ses patients, tout au moins de maintenir le contact avec eux.
Poursuivre le travail thérapeutique quand on est empêché de se voir en présentiel a plusieurs conséquences :
- Cela favorise un travail de stabilisation et prévient les décompensations,
- Cela diminue l’anxiété des patients en leur donnant la possibilité d’exprimer leurs émotions, de les mentaliser, d’élaborer ce qui leur arrive, en stimulant leur capacité de penser dans une période où justement, l’attention est portée de manière intense sur les sensations et les ressentis,
- Cela permet de donner de l’information, de normaliser, de dédramatiser,
- Et de rompre l’isolement de certains.
Cela crée néanmoins chez les thérapeutes différents types d’inquiétude :
- Des inquiétudes techniques : maîtrise de l’outil, dysfonctionnements éventuels, …
- Des inquiétudes cliniques : est ce adéquat avec tel patient, dans telle problématique, puis-je avoir les mêmes interventions, puis-je opérer de la même manière ?
- Des inquiétudes thérapeutiques : « primum non nocere » : est-ce vraiment thérapeutique de poursuivre de cette manière un travail commencé en présentiel ou d’en initier un nouveau ?
Du côté du patient, la téléconsultation élargit le choix des professionnels qualifiés en levant la barrière de la contrainte géographique.
Elle lui permet aussi de maintenir le lien avec son thérapeute et de poursuivre un processus en cours, de ne pas s’abandonner.
Elle exige de sa part qu’il ait un lieu où s’installer, une pièce isolée et calme, qu’il reconstitue un espace personnel confidentiel où il ne sera pas dérangé.
Bien sûr, cela nécessite des conditions particulières :
- Avoir à sa disposition une technique suffisamment bonne : ordinateur, tablette, munis d’une caméra, ou smartphone au minimum.
- Un cadre qui respecte la confidentialité
- Un temps organisé : une prise de rv, parfois plus rapide, sans temps et espace d’attente. Parfois, la téléconsultation augmente la disponibilité des thérapeutes et des patients en termes de plages horaires puisqu’ils n’ont pas de déplacements à prévoir.
Mais en fin de compte, qu’est-ce que la téléconsultation fait à la relation psychothérapeutique ?
Il semblerait qu’elle ait un impact important dans plusieurs domaines :
1/ La question du cadre1 :
L’espace thérapeutique est transformé : au lieu d’une coprésence physique du thérapeute et du patient en un seul lieu, l’espace est dédoublé ; le thérapeute est bien souvent dans son bureau de consultation mais le patient est chez lui, dans sa cuisine, sa chambre, son salon, sa voiture, ou son bureau professionnel. Le lieu où il se pose n’est pas neutre et dit beaucoup sur la capacité à trouver un lieu pour soi dans sa maison.
Le patient et le thérapeute sont tous les deux plongés dans des contextes matériels, physiques, humains et parfois culturels différents, qui ne se donnent à voir que partiellement.
Tous deux font donc face à l’asymétrie contextuelle et la fragilisation du cadre externe.
Sans cesse, l’un et l’autre peuvent se demander : qu’est-ce qui se passe ici ? qu’est-ce qui se passe là-bas ?
Il y aura plus de risques de mal se comprendre, d’interpréter à tort, car l’un et l’autre n’ont pas accès à la totalité du champ.
« Est-ce qu’il m’écoute ou regarde sur son GSM ? »,
« Est-ce que son mari est derrière la porte quand elle me dit tout cela ? »,
« Est-ce que c’est son fils qui débarque comme ça, sans prévenir ? »
Pour certains praticiens, le maintien du lieu de consultation constitue une façon de se mettre en conditions et de garantir leur disponibilité psychique, leur capacité d’écoute et d’attention avec le patient.
Le cadre offre un contenant indispensable à l’installation d’une bonne alliance thérapeutique et au travail d’élaboration psychique, de conscientisation, de symbolisation, d’expression des affects et des représentations. Ce cadre contient le patient au sens où il contribue à protéger, rassurer, stabiliser celui-ci. Le bon maintien d’un cadre externe sain et adéquat ne repose plus uniquement sur les épaules du thérapeute.
Pour que le processus thérapeutique s’enclenche, le cadre psychique interne du thérapeute prend une importance encore plus grande. Comment induire un temps d’introspection, un temps d’intimité avec soi chez le patient et faciliter l’alliance et le déroulé du processus thérapeutique ?
2/ Le transfert et le contre-transfert
Le plus souvent en psychothérapie, la relation patient/thérapeute, qui repose sur des interactions verbales et non-verbales, est considérée comme le fondement, le cœur même du travail thérapeutique et de son efficacité.
Aux yeux des professionnels de la santé mentale, tout ce qui porte atteinte à cette relation revêt une importance capitale.
La téléconsultation tente de reproduire les conditions du face à face, sans la coprésence physique.
Le dispositif permet de réaliser des interactions où on se voit, du moins partiellement, où on s’entend, parfois à travers un casque ou un micro qui créent une impression de grande proximité : un « artéfact interactionnel » se crée, sur base de la volonté de deux personnes de se rencontrer.
Choisir d’utiliser le téléphone ou la vidéo n’est pas neutre ; Il semble, comme l’évoquent D. Miermont Schilton et F. Richard2 dans leur article « Psychanalyse à distance, skype ou téléphone ? » que le téléphone amène le thérapeute à parler davantage, comme pour compenser l’absence, la perte perceptive de la sensualité d’une présence.
Le contre-transfert du thérapeute sera différent selon sa capacité à gérer la ou les pertes qu’occasionnent l’introduction d’une technologie dans le cadre du travail psychothérapeutique et sa capacité à accueillir, intégrer et transformer à la fois ce qui est de l’ordre de la perte et ce qui est de l’ordre du neuf.
Il semblerait également selon ces auteurs que la vidéo puisse susciter un contre-transfert plus maternel, par sa capacité à envelopper, dans le cadre d’un écran.
« Au téléphone, l’écoute de la seule parole réduit drastiquement l’ensemble sensoriel au profit d’une perception accrue du rythme, du souffle, des hésitations et trébuchements de la voix, des semi-lapsus et répétitions de mots. »3
3/ L’intimité à soi et l’intimité à l’autre :
Pour qu’il y ait relation et donc relation psychothérapeutique, R. Erskine4 insiste sur l’importance d’accéder à un contact interne et externe :
- Le contact interne renvoi à la pleine conscience de tous les éléments du vécu interne : sensations, ressentis, besoins, activités sensorielles et motrices, pensées et souvenirs. Dans la structuration du temps en Analyse Transactionnelle, on pourrait parler ici du retrait ressourçant, permettant d’atteindre une certaine intimité à soi.
- Le contact externe se rapporte quant à lui à la pleine conscience des évènements externes, enregistrés par les sens, spécialement ceux qui sont d’ordre relationnel.
Lors des téléconsultations, il n’est pas rare d’observer qu’un patient qui a un lieu externe suffisamment sécure chez lui pour effectuer sa séance, atteint ce contact interne, cette intimité avec lui-même, parfois même plus rapidement que dans le cabinet de consultation du psychothérapeute. Le contact externe en revanche, dépend fortement de la qualité technique de la communication.
4/ L’empathie
L’empathie est cette capacité de pouvoir se mettre à la place d’autrui, cette faculté de comprendre les états affectifs d’autrui et ses états mentaux, sans confusion entre ce qui appartient à soi et ce qui appartient à l’autre. C’est un des éléments clés de toute relation thérapeutique.
Plusieurs études montrent clairement combien l’empathie fait partie des ressources nécessaires à l’efficacité d’une psychothérapie.
Quel est l’impact d’une technologie de la communication sur les capacités empathiques du psychothérapeute ?
Les téléconsultations exigent une grande attention et une intense concentration, diminuant probablement l’opération des neurones miroirs ; l’accès aux éléments comportementaux et non verbaux qui facilitent bien souvent l’empathie et son expression au sein d’un cabinet de consultation est restreint.
Et pourtant, le discours des thérapeutes utilisant la téléconsultation est ambivalent5.
« La distance qui caractérise la relation psychothérapeutique lors des consultations à distance permet également au praticien, dans certains cas précis, de transformer sa pratique en « allant plus loin » que dans le cadre du face-à-face traditionnel, c’est-à-dire en s’adressant au patient d’une manière particulière, en adoptant une posture thérapeutique qu’il ne se serait pas autorisée en face-à-face ».
Dans certains cas, l’expression de l’empathie du psychothérapeute est donc au contraire facilitée par la distance physique et l’entre deux d’une technique qui concrétise la distance physique.
« Tout se passe, comme si la « désinhibition sociale » ou interactionnelle propre aux pratiques psychothérapeutiques à distance jouait cette fois en faveur du praticien et lui ouvrait des possibilités d’action dont il ne bénéficie pas lors des consultations traditionnelles ».
5/ La capacité d’être seul en présence d’autrui6
La téléconsultation nécessite que soit intégrée a minima ce que D. Winnicott appelle « la capacité d’être seul en présence d’autrui ».
Selon Winnicott, la capacité d’être seul est un signe des plus importants de la maturité du développement affectif.
La « capacité d’être seul » repose sur l’existence dans la réalité psychique de l’individu d’un bon objet.
Si l’enfant a appris à intérioriser de bonnes relations, il existe en lui une confiance dans le présent et l’avenir. Il n’a pas besoin d’être stimulé par un objet extérieur pour être vivant. Il faut que le Moi ait atteint un certain niveau de maturité et que l’individu réalise son unité. Cela suppose l’établissement de limites corporelles et psychiques avec la définition d’un dedans et d’un dehors.
Lorsqu’un bon objet est suffisamment intériorisé, le sujet peut avoir confiance en son « Moi-peau », et n’est pas submergé d’angoisse persécutive.
Conclusions :
La situation du confinement a contraint les psychothérapeutes et leurs patients à adopter un nouveau mode de fonctionnement et à utiliser les techniques de communication pour poursuivre le travail psychothérapeutique entamé.
Chacun s’appuie dans ce nouveau cadre de travail sur ses capacités d’adaptation : acceptation des manques, des pertes, liés directement à l’espace et au temps de ce type de consultation, mais aussi co-création, ajustement et intégration du neuf amené par ce situ particulier.
Après plusieurs semaines de téléconsultation, il apparaît que les séances, différentes de celles vécues en cabinet, contiennent d’autres richesses, d’autres possibilités d’approfondissement bien appréciées finalement de part et d’autre.
Elles témoignent en tous cas des capacités des hommes à rebondir devant l’adversité et à toujours se dépasser pour ne pas se laisser redéfinir par les évènements de la vie. L’intelligence se met ici au service du bien-être psychique, émotionnel, cognitif et au service de la continuité du lien à soi et aux autres.
1 « Les téléconsultations en santé mentale » Ou « Comment établir la relation psychothérapeutique à distance ?», Alexandre Mathieu-Fritz, Dans Réseaux 2018/1 (n° 207), pages 123 à 164
2 D. Miermont Schilton et F. Richard, article « Psychanalyse à distance, skype ou téléphone ? », Société Belge de Psychanalyse, 2020.
3 Idem 2
4 Cité par J. Grégoire, dans « Les orientations récentes de l’Analyse transactionnelle », Les éditions d’Analyse Transactionnelle, Lyon, 2007.
5 « Les téléconsultations en santé mentale » Ou « Comment établir la relation psychothérapeutique à distance ?», Alexandre Mathieu-Fritz, Dans Réseaux 2018/1 (n° 207), pages 123 à 164
6 D. Winnicott, « La capacité à être seul », Petite Bibliothèque Payot, Psychanalyse, 2015.
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