Nathalie Debled
QU’EST-CE QUE LA MANIPULATION? COMMENT RECONNAITRE UN MANIPULATEUR?
Je vais tâcher de vous expliquer le concept de la manipulation. C’est un concept complexe avec de nombreuses ramifications : la perversion, la victimologie…
Je m’en tiendrai aujourd’hui à définir ce qu’est la manipulation, ses conséquences sur la victime et comment s’en dépêtrer. J’aborderai 4 grandes questions :
- C’est quoi, la manipulation ?
- Comment savoir si je suis manipulé ?
- Comment reconnaître un manipulateur ?
- Comment réagir pour me protéger et m’en sortir ?
Pour vous l’expliquer de manière concrète et vivante, je vais partir de l’hypothèse de travail que vous êtes victime d’un manipulateur et que je vous aide à y voir plus clair.
Cette hypothèse est peu réjouissante mais statistiquement probable. Les manipulateurs représentent plus ou moins 2 à 3 % de la population. On peut les retrouver dans tous les milieux sociaux et professionnels. C’est une pratique aussi bien féminine que masculine.
Statistiquement donc, nous serons tous un jour en relation avec au moins un manipulateur.
Explorons donc ce monde où règnent les « scorpions » si vous me permettez cette image.
1) C’EST QUOI, LA MANIPULATION ?
Vous connaissez peut être une personne avec qui les relations génèrent un malaise, un stress ou une méfiance progressive. Quelque chose ne tourne pas rond, mais vous ne savez pas exactement quoi.
Le doute s’immisce. Une personne de votre entourage reste présente dans votre esprit et vous parlez souvent d’elle, beaucoup trop…
Etes-vous la proie d’une manipulation ?
Les effets d’une relation toxique commencent à se matérialiser par un manque de confiance en vous qui va croissant : un doute répété, un sentiment d’infériorité, l’impression de ne plus savoir communiquer. Puis apparaissent des troubles physiques tels que des problèmes de sommeil, des maux de ventre, des maux de tête.
Mais c’est quoi la manipulation ? Ce terme désigne une dynamique d’irrespect entre 2 individus dont l’un cherche instinctivement à déstabiliser l’autre, afin que les évènements se déroulent à son propre avantage et de façon peu ou pas consciente pour les 2 protagonistes.
La manipulation est à portée de chacun. L’exercer de temps à autre n’implique pas nécessairement le diagnostic de manipulateur. Une personnalité manipulatrice se définit par le caractère répétitif, par l’intensité et la constance de ses comportements . Nous verrons plus loin avec plus de détails les 30 critères de manipulation établis par Isabelle Nazare-Aga.
Lorsque la manipulation se passe sur le lieu de travail, on parlera alors de harcèlement moral. C’est exactement la même dynamique.
Il s’agit d’un véritable travail de sape psychique indéniablement toxique, un envahissement de la pensée préoccupant et obsédant.
Parfois, les victimes sont conscientes de leurs tourments et parlent de leur douleur avec lucidité. Parfois, elles n’y comprennent rien, vivent un profond malaise. Elles se sentent coupables, croient devenir folles, dépriment et somatisent.
2) COMMENT SAVOIR SI JE SUIS MANIPULE ?
Au début, ce sont des conversations qui vous exaspèrent, vous déstabilisent ou qui vous font grimper au mur d’énervement mais qui ne vous détruisent pas vraiment. C’est la répétition de ces petites tensions et de ces petits efforts qui est doucement usante et, à la longue, traumatisante. Cette répétition empoisonne la relation silencieusement et épuise les résistances.
Voici un petit test inventé par Marie Andersen. Ce test vous permettra de passer en revue une série d’éléments susceptibles de vous mettre la puce à l’oreille.
Pensez à une personne de votre entourage social, familial, amoureux ou professionnel avec qui les relations vous semblent lourdes et cochez les points où vous vous retrouvez.
Au-delà de 5 critères de la liste, on peut dire que cette relation est suspecte :
- Je ne me sens pas à l’aise dans cette relation.
- Je ne me sens pas respecté.
- Il m’énerve ! Il m’exaspère !
- Je n’arrête pas d’y penser, ça devient obsédant.
- J’ai terriblement besoin de raconter ce qui se passe dans cette relation à des proches.
- Je dis Oui quand je pense Non.
- Je m’en veux à posteriori d’avoir accepté, mais au moment même je n’arrivais pas à choisir, à dire vraiment ce que je pensais, je me sentais pris de court.
- Je suis amené à avoir une attitude, des paroles, des comportements qui ne me ressemblent pas.
- Je ne vois pas très clair dans ce qui se passe entre nous.
- Je me sens coincé.
- Je n’arrive pas à faire entendre mon point de vue.
- Je suis stupéfait de la tournure que prennent nos conversations.
- Je n’arrive pas à discuter normalement avec lui.
- Je sens que je ne vais pas pouvoir revenir sur ce que j’ai dit sans dégâts.
- Je sens qu’il n’y a pas d’espace de négociation possible.
- Je me sens accusé de choses que je n’ai pas faites.
- Je suis accusé de choses qu’il a faites lui-même.
- Je sens qu’il me méprise.
- Je sens qu’il se moque de moi.
- Je sens qu’il ne m’aime pas vraiment même s’il en donne l’impression.
- Je n’aime pas voir cette personne.
- Il me fait peur.
- Je sens qu’il me baratine.
- Je sens qu’il cherche à me séduire superficiellement.
- Je sens que le cadeau qu’il m’a fait est suspect.
- Je me sens méfiant.
- Je n’ai pas confiance en cette personne.
- Je sens qu’il me met des bâtons dans les roues.
- J’ai l’impression qu’il dit du mal de moi dans mon dos.
- Je voudrais m’éloigner, quitter cette relation, mais il me rattrape.
Voici, à présent, une autre liste de ressentis, toujours en pensant à cette même relation. Chacun de ces points est suffisamment préoccupant pour qu’un seul d’entre eux vous alerte sérieusement :
- Je me sens perdu, confus, embrouillé, je ressens un vague malaise dont je ne comprends pas vraiment l’origine.
- Je doute de tout, je ne sais pas ce que je veux, je ne me sens pas maître de moi, de mes décisions, de mes pensées.
- Je n’arrive pas à réfléchir, je me sens englué, ma conscience est rétrécie.
- Je me sens coupable (de la dégradation de ma relation, de ne pas arriver à l’aider, de l’abandonner, de l’échec,…)
- J’ai honte de ce qui m’arrive, j’ai peur d’en parler, je m’en cache, je n’ai plus d’estime de moi.
- Mes émotions sont très fluctuantes, j’ai des crises de larmes incontrôlables, je suis hypersensible, trop susceptible.
- Je souffre, j’ai peur, je suis stressé, angoissé.
- Je me sens profondément déprimé, je perds complètement confiance en moi.
- Je me sens incompris, triste, je me replie sur moi-même.
- Je me sens seul, isolé, ma famille ou mes amis s’éloignent de moi.
- Je me sens vide, fatigué, épuisé, anesthésié, dans un état second, sans force, surmené.
- J’ai un immense besoin d’être aimé, utile, reconnu par cette personne.
- Je n’arrive pas à dire Non, je ne sais pas poser mes limites, ni à me faire respecter.
- Je me sens envahi, obsédé, complètement habité par cette relation, je rumine, j’y pense nuit et jour.
- Je sens que cette relation me fait du tort et pourtant elle m’attire et j’y retourne.
- J’ai déjà essayé de rompre, mais on a recommencé.
- Je ne comprends pas du tout le sens de cette relation, je ne comprends pas pourquoi je m’y accroche.
- J’ai parfois envie de le tuer !
- Je fais des rêves de grande violence ou de meurtres.
- J’ai des envies de vengeance.
- Je ne trouve pas beaucoup de solidarité autour de moi.
- Je crois devenir fou.
- Je n’ai plus de désir sexuel, je n’ai plus de libido.
- Je perds l’appétit et j’ai maigri.
- J’ai des symptômes physiques que le médecin n’arrive pas vraiment à soigner.
- J’ai des insomnies, des nuits agitées.
- J’ai des crampes au ventre, une gastrite chronique, des reflux gastro-oesophagiens.
- J’ai des tensions musculaires, des maux de tête.
- Je fais de la tachycardie, des palpitations, de l’hypertension.
- J’ai des problèmes de fertilité, je n’arrive pas à être enceinte.
Chacun de ces points, pris isolément, n’est pas forcément révélateur d’une relation de manipulation mais tous sont suffisamment problématiques pour en conclure qu’il est plus que temps d’ouvrir les yeux et de prendre soin de vous.
Ce qui nous amène au point suivant : comment reconnaît-on un manipulateur sans aucun doute possible ?
3) COMMENT RECONNAITRE UN MANIPULATEUR ?
Pour clarifier cela, encore une liste !
Dans son excellent livre « les manipulateurs sont parmi nous », l’auteur Isabelle Nazare-Aga a déterminé 30 caractéristiques. Un individu que l’on qualifie de manipulateur agit selon au moins 14 des caractéristiques sur les 30 de cette liste:
- Il culpabilise les autres, au nom du lien familial, de l’amitié, de l’amour, de la conscience professionnelle, etc.
- Il reporte sa responsabilité sur les autres ou se démet de ses propres responsabilités.
- Il ne communique pas clairement ses demandes, ses besoins, ses sentiments et ses opinions.
- Il répond très souvent de façon floue.
- Il change ses opinions, ses comportements, ses sentiments selon les personnes ou les situations.
- Il invoque les raisons logiques pour déguiser ses demandes.
- Il fait croire aux autres qu’ils doivent être parfaits, qu’ils ne doivent jamais changer d’avis, qu’ils doivent tout savoir et répondre immédiatement aux demandes et aux questions.
- Il met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l’air, dévalorise et juge.
- Il fait faire ses messages par autrui ou par des intermédiaires (téléphone au lieu de choisir le face-à-face, laisse des notes écrites).
- Il sème la zizanie et crée la suspicion, divise pour mieux régner et peut provoquer la rupture d’un couple.
- Il sait se placer en victime pour qu’on le plaigne (maladie exagérée, entourage « difficile », surcharge de travail,..)
- Il ignore les demandes même s’il dit s’en occuper.
- Il utilise les principes moraux des autres pour assouvir ses besoins (notions d’humanité, de charité, racisme, « bonne » ou « mauvaise » mère,…)
- Il menace de façon déguisée ou fait un chantage ouvert.
- Il change carrément de sujet au cours d’une conversation.
- Il évite l’entretien ou la réunion ou il s’en échappe.
- Il mise sur l’ignorance des autres et fait croire à sa supériorité.
- Il ment.
- Il prêche le faux pour savoir le vrai, déforme et interprète.
- Il est égocentrique.
- Il peut être jaloux même s’il est un parent ou un conjoint.
- Il ne supporte pas la critique et nie les évidences.
- Il ne tient pas compte des droits, des besoins et des désirs des autres.
- Il utilise très souvent le dernier moment pour demander, ordonner ou faire agir autrui.
- Son discours paraît logique ou cohérent alors que ses attitudes, ses actes ou son mode de vie répondent au schéma opposé.
- Il utilise des flatteries pour nous plaire, fait des cadeaux ou se met soudain aux petits soins pour nous.
- Il produit un état de malaise ou un sentiment de non-liberté (piège).
- Il est efficace pour atteindre ses propres buts, mais aux dépens d’autrui.
- Il nous fait faire des choses que nous n’aurions probablement pas faites de notre propre gré.
- Il est constamment l’objet de discussions entre gens qui le connaissent, même s’il n’est pas là.
On considère qu’à partir de 14 critères sur 30, on a affaire à un manipulateur. A Partir de 20 caractéristiques, la personne est considérée comme quelqu’un de vraiment dangereux pour la santé physique et l’équilibre mental de ses proches.
Les manipulateurs se dissimulent souvent sous différents masques. Ils sont passés maîtres dans l’art de modifier ces faux visages à volonté, selon la personne, la situation ou le but visé.
Les professionnels ont dénombré 7 catégories assez larges de masques utilisés par les manipulateurs : sympathique, séducteur, altruiste, cultivé, timide, dictateur et victime.
Les plus fréquents sont les premiers : les sympathiques. Le manipulateur sympathique est souriant, extraverti. Il parle beaucoup. Il offre l’image d’une personne bien dans sa peau à qui nous aimerions bien ressembler et nous en faire aimer. Il a d’ailleurs souvent de réelles qualités humaines. C’est là que réside le danger !
Attention à ne pas se méfier de toutes les personnes bien dans leur peau que nous pourrions rencontrer ! Ce qui permet de différencier une personne vraiment sympathique d’un manipulateur sympathique, c’est que vous vous sentez bien en compagnie du premier, il s’intéresse réellement à vous, à ce que vous pensez, il est respectueux. La personne sympathique ne cache rien de sa personnalité et n’a aucunement besoin d’écraser les autres pour se sentir valable. Il reconnaît ses défauts et ses qualités et ne ressent pas le besoin d’en faire une démonstration constante.
Il faut souvent du temps pour découvrir progressivement le masque du manipulateur et ce qu’il cherche vraiment, à savoir : « vous mettre dans sa poche » !
Le manipulateur séducteur a « du charme ». Très souvent séduisant, élégant, instruit et cultivé, il regarde dans les yeux. Il inonde la personne de compliments. Il manie parfaitement toutes les combines pour plaire et faire naître chez l’autre la fascination, tel le dangereux serpent Kaa du film « le livre de la jungle ».
Le manipulateur altruiste nous donne tout, nous fait tout sans que nous ayons à le demander. Tout cela dans l’attente d’un principe social établi : le principe de réciprocité. Autrement dit, il nous donne tout mais on ne peut rien lui refuser ! Ce qu’il demande en retour est, évidemment, bien plus considérable que ce qu’il a donné.
Le manipulateur cultivé se montre subtilement méprisant envers ceux qui ne possèdent pas les mêmes connaissances que lui. Il s’exprime sur le ton de l’évidence. Son ton et sa manière de parler donnent l’impression d’une grande culture. Bref, il étale sa culture comme d’autres de la confiture sur une tartine !
Sauf que s’il parle d’un sujet que vous connaissez, vous vous apercevrez que ce qu’il dit est faux ou imprécis. C’est de la poudre aux yeux !
Une personne réellement intéressante et cultivée ne vous donnera jamais l’impression d’être inculte ou idiot.
Le manipulateur a le pouvoir de nous subjuguer et de nous faire admettre ce qu’il veut, de nous influencer.
Le manipulateur timide est plus rare et plus difficile à déceler. C’est souvent une femme. Elle est en retrait et silencieuse. Elle juge par ses silences ou ses regards. Elle utilise son conjoint ou un collègue pour faire parvenir son avis ou ses critiques. Le manipulateur timide se différencie du timide classique par sa façon de juger « par-derrière » et de créer ainsi la zizanie ou les soupçons. Il dit détester les conflits mais les déclenchent souvent.
Le manipulateur dictateur est en général facilement repérable. Ses critiques et ses comportements sont souvent violents. Il est désagréable, agressif et autoritaire. Il est craint. Par la peur qu’il génère, il parvient à obtenir tout ce qu’il exige. Ce que vivent et ressentent les autres ne l’intéresse absolument pas. Il est une sorte de « terroriste relationnel » extrêmement difficile à vivre au quotidien pour ses proches ou ses collègues.
Le manipulateur « victime » exerce son pouvoir par la compassion, la pitié ou la culpabilité qu’il éveille chez l’autre. C’est quelqu’un qui se pose sans arrêt en victime.
Reprenons la définition de mon introduction, la manipulation est donc définie comme une dynamique d’irrespect entre 2 individus dont l’un cherche instinctivement à déstabiliser l’autre, afin que les évènements se déroulent à son propre avantage comme nous venons de l’expliquer. La définition parle aussi de la notion d’avoir conscience ou pas de ses actes.
Seulement 20% des manipulateurs sont conscient de leur mode relationnel. Ceux-là sont assez pervers (au-delà de plus ou moins 25 critères sur les 30) : Ils prennent plaisir à ces comportements immoraux et déstabilisants pour autrui.
La plupart des manipulateurs (80% donc) ne nuisent pas consciemment aux autres. Ils peuvent, même, ne pas se rendre compte des véritables conséquences de leurs actes sur leurs proches. Ils ont souvent été une victime eux-mêmes de manipulation, pendant leur enfance, pendant la période où se construisent la socialisation et la façon d’être en relation avec le monde environnant. C’est le modèle comportemental et relationnel qu’ils ont reçu de leur propre famille.
Cela n’excuse, évidemment, rien et ne diminue nullement leur dangerosité !
4) COMMENT REAGIR POUR ME PROTEGER ET POUR M’EN DEGAGER ?
La première démarche consiste à déterminer si l’individu qui vous fait tant souffrir est manipulateur. En apprenant à le repérer, vous devenez moins réceptif aux manœuvres de domination.
La deuxième démarche est de faire le deuil d’une communication normale et idéale. En effet, vous ne pouvez pas espérer communiquer « normalement » avec un manipulateur. Vous ne pouvez pas espérer faire admettre à votre interlocuteur votre point de vue. Le manipulateur, par essence, ne se remet pas en question.
La troisième étape est de se poser les 3 questions suivantes :
- Est-ce que je maintiens cette relation telle qu’elle est ?
- Est-ce que je tâche de la transformer ?
- Est-ce que je la romps ?
Si vous estimez que, dans cette relation toxique, le « bon » est plus important que le « mauvais » ou que vous ne pouvez vous résoudre à une rupture des liens avec cette personne, vous serez tenté par répondre oui à la première ou à la deuxième question.
Ne nous voilons pas la face, Cela ne sera possible que si la manipulation est limitée et la souffrance supportable.
Avant de vous expliquer en quoi cela consiste, il me semble important de souligner qu’il s’agit plus de techniques de survie qu’une option vers une paix profonde.
Avec un manipulateur, on peut gagner une bataille mais jamais la guerre !
1)L’adaptation est la réponse à la première question : maintenir la relation. L’adaptation consiste à ne pas trop réagir, à « passer entre les gouttes ». Il faut commencer par prendre conscience de la manière dont vos réactions contribuent à jeter de l’huile sur le feu. Il faut accepter de ne plus vouloir avoir le dernier mot, de laisser tomber et surtout cesser de vouloir changer l’autre. C’est une stratégie intelligente et subtile, qui requiert beaucoup de lucidité et une bonne compréhension des mécanismes pervers.
L’adaptation n’est pas si facile. « On flirte vite avec la suradaptation (devenir un caméléon), la soumission (être une carpette) ou la résignation (enterrer volontairement toute affirmation de soi) ».
2) Résister est la réponse à la deuxième question : tenter de transformer la relation.
Résister, c’est tenir tête intelligemment. C’est faire appel aux lois, aux règles. C’est refuser les insultes, refuser que l’on s’en prenne aux enfants, refuser l’humiliation. C’est reprendre le contrôle de son corps, de sa santé et de son territoire.
Comment est-ce possible ? Le manipulateur détourne souvent les mots à son avantage, utilise des clichés, des expressions. Il faut le forcer à donner le sens exact des mots qu’il utilise. Comme un disque rayé, c’est répéter « qu’est-ce que tu veux dire exactement ? ». C’est le ramener sans cesse à une question claire et en attendre la réponse. L’idée générale est de recadrer sans arrêt le discours. Cela nécessite de vous blinder, de rester imperturbable, de ne jamais entrer dans le jeu et de ne jamais vous énerver afin de ne pas perdre votre crédibilité.
Face à votre résistance, le manipulateur se trouvera déstabilisé. Avec un peu de lucidité, il comprendra qu’il ne peut plus rien tirer de vous, que vous voyez clair dans son jeu. Vous ne l’intéresserez probablement plus.
Cela en vaut la chandelle mais c’est épuisant !
La contre-manipulation est l’étape suivante. Le manipulateur s’obstine, il est toujours actif et nocif. Consciemment, pour vous défendre, vous décidez de jouer au même jeu que lui. Vous le contre-manipulez. Il s’agit de ne pas entrer dans la discussion, d’utiliser des phrases toutes faites et assez vides de sens, de renvoyer l’autre à lui-même, d’utiliser des techniques de brouillage, d’éluder, d’éviter de répondre aux questions, de communiquer de façon floue et superficielle, de ne s’engager à rien et de manier la dérision et l’humour.
Vous utiliserez alors des phrases du genre ; « c’est ton point de vue », « on peut voir les choses comme cela », etc.…. La technique de contre-manipulation est expliquée en détail dans le livre « les manipulateurs sont parmi nous » ainsi que toute une série d’exercices pour parvenir à la maîtriser.
C’est, en effet, une véritable technique qui demande, vous l’aurez saisi, un énorme effort physique et psychologique.
3)La troisième question renvoie à la rupture de ces liens toxiques.
Quand la souffrance est trop importante, la toxicité trop envahissante ou encore si les manœuvres d’adaptation, de résistance ou de contre-manipulation ont échouées, il vaut mieux alors rompre.
En tant que psychothérapeute, je me centre sur la cicatrisation de la souffrance et la sauvegarde de la santé psychique de mon patient. Je suis souvent amenée à recommander cette difficile option.
En effet, si l’on veut pouvoir ouvrir ses ailes et libérer son potentiel, faire ses propres choix sans se sentir rabaissé, humilié, agressé et jugé en permanence, il faut pouvoir décider de rompre, de couper le cordon ombilical. C’est parfois une question de survie.
Il s’agit de cesser d’attendre un changement, un déclic miraculeux de la part du manipulateur. Les transformations de personnalités manipulatrices sont rarissimes. Il est tout aussi rare qu’une personnalité toxique se remette en question.
Rompre les relations nécessite un travail de deuil. Ce deuil est un lent processus. Plus la relation est forte avec le manipulateur, plus il est proche de vous (comme un parent par exemple), plus le deuil sera long à faire.
Ne plus attendre qu’il « guérisse » est le seul moyen de ne plus souffrir de cette relation.
Rompre c’est renoncer, abandonner, faire le deuil et lâcher prise. Renoncer à se faire comprendre. Abandonner la relation que l’on espérait. Faire le deuil du besoin d’être reconnu de cette personne-là, du besoin d’exister à ses yeux comme on est. Faire le deuil d’être aimé par elle avec notre personnalité réelle et affirmée. Lâcher notre préoccupation quant à l’impact que notre décision aura sur la vie de celui qu’on quitte. Lâcher la peur de ce que vont penser les autres.
Vous l’aurez compris : Quelque soit l’option choisie, le chemin sera long et difficile. Prendre conscience d’une manipulation, y faire face et s’en protéger peut être vraiment douloureux.
Quittons ce monde peuplé d’animaux venimeux et revenons maintenant à la vie normale constituée, je l’espère, de relations plus saines et plus respectueuses que celles que j’ai décrites dans cet exposé.
Pour intensifier votre réflexion :
Isabelle Nazare-Aga, « Les manipulateurs sont parmi nous », Editions de l’homme, 2004
Marie Andersen, « La manipulation ordinaire », Ixelles éditions, 2010
Revue Balint n° 104, « les perversions », Société Balint, 2008